PUBLIÉ LE JEUDI 12 FÉVRIER 2015.
Le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) permet d’établir la situation relative de 180 pays au regard notamment de leurs performances en matière de pluralisme, d’indépendance des médias, de respect de la sécurité et de la liberté des journalistes.
En tête de l’édition 2015 du Classement mondial de la liberté de la presse figurent, comme souvent, trois pays nordiques, la Finlande, première depuis cinq ans, la Norvège et le Danemark. A l’autre bout du spectre, les situations les pires sont relevées au Turkménistan, en Corée du Nord et enErythrée, 180ème sur 180. La France figure à la 38ème place (+ 1), les Etats-Unis à la 49ème (- 3), le Japon à la 61ème (- 2), le Brésil à la 99ème (+12), la Russie à la 152ème (- 4), l’Iran à la 173ème (stable) et la Chine à la 176ème (- 1).
Le Classement mondial de la liberté de la presse met en évidence une détérioration globale en 2014. Éprouvée par les conflits, la menace accrue d’acteurs non étatiques, les exactions commises lors de manifestations et par la crise économique et financière, la liberté de la presse régresse sur les cinq continents.
Les indicateurs retenus par Reporters sans frontières sont sans appel. 2014 est l’année d’une régression brutale pour la liberté de l’information. Les deux tiers des 180 pays figurant au Classement mondial de la liberté de la presse 2015 affichent de moins bonnes performances, en valeur absolue, que dans l’édition précédente. L’indice annuel exprimant l’intensité des atteintes à la liberté de l’information dans le monde culmine à 3719 points, soit une hausse de 8% par rapport à 2013 et de près de 10% depuis 2012. Un recul qui concerne tous les continents.
- Indices 2015 FR
Si la zone Union européenne – Balkans reste celle dans laquelle la presse est la plus libre, avec un score de 18,6, elle enregistre néanmoins la plus grosse dégradation de l’année. Une tendance inquiétante qui reflète un double phénomène : les dérives de certains pays membres et l’incapacité des mécanismes européens à les endiguer. Dernière en matière de respect de la liberté de l’information, la zone Afrique du Nord – Moyen-Orient a vu cette année encore l’apparition de nouveaux « trous noirs » de l’information. Des régions entières passées sous le contrôle de groupes non-étatiques dans lesquelles l’information indépendante est tout simplement inexistante.
Les évolutions marquantes de l’édition 2015
Les chutes
L’Andorre (32e), plus forte chute, paye le prix d’un manque d’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs économiques, politiques et religieux. La forte récurrence des conflits d’intérêt et la grande difficulté éprouvée par les journalistes à couvrir les activités des banques andorranes, cumulées à l’absence de textes juridiques protecteurs de la liberté de l’information – notamment sur le secret des sources des journalistes, font perdre au pays 27 places.
En Asie, le Timor-Oriental (103e) accuse une chute de 26 places. La création d’un conseil de la presse et l’adoption d’un code de déontologie fin octobre 2013 ont déçu. En 2014, une loi répressive contre les médias est proposée, qui incite à l’autocensure généralisée.
En Afrique subsaharienne, le Congo-Brazzaville (107e) perd 25 places au terme d’une année difficile pour les médias indépendants. Le gouvernement a intensifié sa chasse aux journalistes critiques, usant parfois de méthodes extrêmement violentes. Les journalistes, s’ils refusent de se taire, sont poussés à l’exil ou expulsés.
L’Europe de l’Ouest voit nombre de ses pays reculer. L’Italie (73e) perd 24 places au terme d’une année difficile pour les journalistes, cibles de menaces notamment de la mafia et de procédures en diffamation abusives exploser. L’Islande (21e, -13) paye le prix d’un durcissement des rapports entre le politique et les médias. Une chute qui sonne comme un avertissement pour une “démocratie modèle”.
En Amérique du Sud, le Venezuela (137e) perd plus de 20 places. L’armée nationale bolivarienne y tire sur les journalistes pendant les manifestations, bien qu’ils soient clairement identifiés comme tels. En Équateur (108e, -13), la prometteuse loi organique de communication (LOC) a très rapidement montré ses limites. La rectification d’information forcée est devenue un mode de censure institutionnalisé.
Les journalistes qui exercent en Libye (154e, -17) font l’expérience d’une situation chaotique, trois ans après la chute de Kadhafi depuis laquelle RSF a recensé sept assassinats et 37 enlèvements de journalistes. Face aux violences, plus de quarante professionnels de l’information se sont résolus à fuir leur pays en 2014. Rapporter des informations sur les agissements des milices qui se partagent le paysrelève désormais de l’héroïsme.
Le Soudan du Sud (125e, -6), plongé dans une guerre civile, voit lui aussi la polarisation radicale et la prise à témoin permanente des médias lui coûter des places. La liberté de la presse y est suspendue “pour cause de conflit”, titrait RSF en juillet 2014 à l’occasion du troisième anniversaire du jeune pays.
En Russie (152e, -4), la pression sur les médias indépendants continue de s’intensifier : lois liberticides en cascade, blocage de sites d’information, asphyxie ou reprise en main de titres indépendants… Ce contexte répressif encourage certains potentats locaux à redoubler d’ardeur dans leur chasse aux voix critiques.
Dans le Caucase, l’Azerbaïdjan (162e, -2) présente un bilan désastreux : c’est la plus grosse chute en performance absolue des 25 derniers pays du Classement. Une vague de répression sans précédent s’abat sur les dernières voix critiques. Dans un paysage médiatique déjà verrouillé par une régulation partiale et le contrôle du marché publicitaire, les dernières publications indépendantes croulent sous les amendes astronomiques, quand elles ne sont pas purement et simplement fermées par la police. A force de jeter en prison journalistes et blogueurs, l’Azerbaïdjan devient la première prison du continent européen pour les acteurs de l’information.
Sur le continent américain, les États-Unis (49e, -3) poursuivent leur descente. L’année 2014 aura été marquée par la pression exercée sur James Risen, journaliste du New York Times sommé par l’administration de révéler ses sources. Si elle a reculé sur cette affaire, l’administration Obama poursuit sa guerre contre l’information sur d’autres dossiers, notamment celui de WikiLeaks.
Les hausses
Elles sont peu nombreuses. La Mongolie (54e) signe la plus belle progression au Classement avec 34 places gagnées. Très peu de violations y ont été recensées en 2014, tandis que les bénéfices des lois sur l’accès à l’information commencent à se faire sentir. Des problèmes demeurent, notamment sur le plan législatif, mais la situation est en nette amélioration.
Les Tonga (44e), qui ont connu leurs premières élections démocratiques en 2010, ont vu s’affirmer depuis une presse indépendante qui affirme son rôle de contre-pouvoir. L’Etat polynésien est désormais à une place enviable après cette nouvelle hausse de 19 places.
A Madagascar (64e), la longue crise politique s’est éteinte avec l’élection du nouveau président Hery Rajaonarimampianina en janvier 2014, et le départ du ministre de l’information. Une transition démocratique qui a permis l’apaisement d’une situation jusque là très polarisée et qui fait gagner 17 places au pays. Malgré tout, des sujets restent tabous, notamment les monopoles économiques d’acteurs politiques de premier plan.
En Europe, la Géorgie (69e, +15) poursuit sa remontée pour la troisième année consécutive, retrouvant une position voisine de celle qu’elle occupait avant la guerre de 2008. Le pays recueille les fruits de certaines réformes engagées dans la foulée de l’alternance politique, mais reste handicapé par la forte polarisation des médias.
A la 86ème place, la Côte d’Ivoire (+15) continue de s’extraire d’une crise politique et sociale qui avait plongé le pays en pleine guerre civile en 2010. La situation demeure néanmoins contrastée dans un pays où la libéralisation de l’audiovisuel est attendue pour 2015, non sans quelques craintes qu’elle s’accompagne d’une censure institutionnelle.
Le Népal (105e) gagne 15 places grâce à une baisse des violences perpétrées par les forces de l’ordre contre les journalistes, notamment lors des manifestations. Une amélioration qui reste à confirmer sur l’année 2015.
La Tunisie (126e) gagne quant à elle sept places. Cette hausse est toute relative puisqu’en performance absolue, le pays stagne. Il reste qu’une stabilisation de la situation politique en 2014 profite aux activités d’information. En revanche, le nombre d’agressions commises à l’encontre des journalistes est toujours trop élevé et la mise en pratique des dispositions garantissant la liberté de l’information tarde à se mettre en place.
Motif de satisfaction relatif : le Brésil (99e, + 12) qui repasse au-dessus de la barre très symbolique de la 100e position à la faveur d’une année moins violente avec deux journalistes tués contre cinq l’année précédente.
Toujours sur le continent américain, le Mexique (148e) gagne laborieusement quatre places. Le mois de novembre, qui n’est pas pris en compte dans le Classement 2015, a été marqué par des violences contre les journalistes dans des manifestations liées à la disparition de 43 étudiants dans l’État du Guerrero. RSF a recensé trois cas de journalistes tués au Mexique en 2014 en lien direct avec leur profession, contre deux en 2013.
Classement mondial de la liberté de la presse 2015 : Les raisons d’une régression inquiétante
Proche-Orient, Ukraine, Syrie ou Irak… De nombreux conflits ont marqué 2014. Les belligérants se sont livrés à une redoutable guerre de l’information. Propagande ou blackout, les médias, devenus des objectifs stratégiques, ont été pris pour cibles, attaqués, voire réduits au silence.
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Les groupes non étatiques n’obéissent à aucune loi et poursuivent leurs propres intérêts au mépris des droits fondamentaux. De Boko Haram au groupe Etat islamique, en passant par les narcotrafiquants latinos ou la mafia italienne, les motivations varient mais le modus operandi est le même : réduire au silence, par la peur ou les représailles, les journalistes et blogueurs qui osent enquêter sur ces groupes ou qui refusent de s’en faire les porte-voix.
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Sanctuariser un système politique au nom de la protection du sacré : un moyen extrêmement efficace pour censurer toute critique envers le pouvoir dans des pays où la religion fait loi. Dans près de la moitié des pays du monde, le délit de blasphème est une notion qui met en danger la liberté de l’information. Parfois, lorsque certains “fidèles” estiment que la justice n’assure pas suffisamment le respect de Dieu ou du prophète, ils se chargent eux-mêmes de rappeler aux journalistes et aux blogueurs ce qu’ils ont le droit de dire ou non.
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Le journaliste, ennemi commun des manifestants et des forces de l’ordre dans certains rassemblements populaires ? C’est le triste constat que dresse cette année encore Reporters sans frontières. 2014 aura été marquée par une intensification de la violence envers les reporters et les net-citoyens couvrant les manifestations publiques.
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Plus important recul entre les éditions 2014 et 2015 du Classement mondial, l’Union européenne montre les limites de son “modèle démocratique” et l’incapacité de ses mécanismes à endiguer cette érosion. Elle semble débordée par les velléités de certains États membres à transiger avec la liberté de l’information. Conséquence directe, les écarts se creusent : les pays membres occupent des positions au Classement allant de la 1ère et la 106ème place. Une amplitude record.
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C’est d’ailleurs souvent au nom de la sécurité nationale que les démocraties prennent des largesses avec leurs valeurs. Face à la menace réelle ou fallacieuse, des gouvernements se créent, à un rythme chevronné, tout un arsenal législatif afin de museler les voix indépendantes. Un phénomène qui touche aussi bien les régimes autoritaires que les démocraties.
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Ce sont des régimes dictatoriaux d’Europe de l’Est, d’Afrique, d’Asie ou encore du Moyen-Orient. Ils sont pour la plupart dirigés par des caricatures vivantes, qui prêteraient à rire s’ils n’exerçaient pas un contrôle absolu sur leurs populations. En 2014, ils ont encore davantage resserré l’étau qui étouffe depuis des années la presse : parmi les 20 derniers pays du Classement 2015, 15 ont fait pire que lors de l’édition 2014.
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