http://www.slate.fr/story/95295/hong-kong
Une semaine dans la vie des étudiants hongkongais qui font la «révolution des parapluies»
Des manifestants pro-démocratie, le 1er décembre à Hong Kong. REUTERS/Tyrone Siu
Depuis deux mois, ils sont des milliers à défier le régime communiste chinois. Ils ont installé des campements illégaux dans la ville, multiplient les sit-ins, les occupations, et réclament la démocratie. Surprenante révolte, inédite depuis Tiananmen. Pour Slate, Frédéric Martel a suivi ces étudiants sur les barricades de Hong Kong. Récit en deux parties.
Hong Kong
«On vient chercher un matelas», explique un étudiant, accompagné d’un petit groupe de jeunes. Ils ont tous entre 18 et 20 ans. Et attendent patiemment devant une tente baptisée, sur un petit écriteau en chinois, «Wuzi Zhan» et, en anglais, «Supply Station». Leung, qui a lui aussi 18 ans, s’occupe de ce poste de ravitaillement. Il porte un tee-shirt noir avec pour tout motif, un parapluie jaune –le symbole de la «Umbrella Revolution» de Hong Kong.
«Ici, je suis responsable de toutes les demandes des étudiants: nourriture, bouteilles d’eau potable, médicaments, etc. On donne aussi des masques chirurgicaux ou des lunettes de plongée pour se protéger des gaz lacrymogènes et des casques de chantier pour parer aux coups de matraques», me dit-il en cantonais (traduit par Greg, un autre étudiant hongkongais).
Veillée d’armes, lundi dernier (le 24 novembre). Nous sommes sur Nathan Road, un axe nord-sud de grande circulation dans la partie continentale de Hong Kong. Les étudiants ont installé leur campement en plein milieu des six voies rapides de l’avenue, bloquant entièrement la circulation. Ils sont quelques centaines à dormir là, dans des dizaines de tentes, depuis près de deux mois. C’est l’un des trois sites d’occupations de la révolution en marche.
La bataille de Mong Kok
Leung est installé ici «depuis 58 jours», me précise-t-il. Et cette nuit qui commence n’est pas tout à fait comme les autres. La police vient d’annoncer qu’elle allait démanteler mardi matin ce camp dit de Mong Kok (le nom de la station de métro tout proche), suivant ainsi une décision de justice ayant ordonné, après les plaintes de compagnies de taxi et de mini-bus, la fin de l’occupation sur Nathan Road.
Alors, on s’organise. Un poste d’observation a été installé sur le toit d’une des sorties de la station du métro Mong Kok où l’état-major du campement s’est replié. Ce n’est pas labataille d’Azincourt, mais ces étudiants, qui étaient à peine enfant lors de la rétrocession de Hong Kong à la Chine par les Britanniques en 1997, se sentent dans la peau d’Henri V!
C’est leur première veillée d’armes; la première fois qu’ils manifestent; la première fois qu’ils ont érigé des barricades; la première fois qu’ils doivent défendre «leur» rue; la première fois qu’ils vont affronter au petit matin des milliers de policiers.
Du haut de leur toit de fortune, les leaders étudiants du camp de Mong Kok vont pouvoir observer la bataille. Poste de garde stratégique à une quinzaine de mètres du sol. Une échelle en bambou permet de s’y hisser. Et une tente a même été montée là-haut, car on va dormir sur place. Et c’est pourquoi il faut un matelas.
Leung regarde ses stocks, très dégarnis, mais déniche, au fond de sa «supply station», entre des dizaines de sacs de couchage, des piles de couverture et des cartons de bouteilles d’eau, un matelas. On apporte un chariot pour le transporter. Mais il faut l’attacher avec des cordes: on trouve illico de la ficelle dans les réserves de la «supply station». Et voici le groupe d’étudiant qui repart à travers le campement de Mong Kok pour mener le matelas jusqu’au quartier général étudiant.
Nous marchons près de 200 mètres. Arrivé à destination, les étudiants hissent péniblement, en s’y mettant à cinq ou six, le matelas sur le toit de la station de métro. Et on repart vers la «supply station» pour rapporter le chariot.
Je demande à Leung les raisons de son engagement. Il a l’air étonné par ma question tant la réponse lui paraît évidente.
«Je me bats pour la démocratie à Hong Kong et pour notre futur. C’est tout.»
Chow, un autre étudiant de 18 ans, qui est affecté lui aussi à la «supply station», entre dans la conversation:
«Je suis ici pour mon futur, pour notre liberté. Je veux pouvoir choisir qui sera le chef de l’exécutif à Hong Kong. On nous a promis le suffrage universel et maintenant on veut nous l’enlever. Ce mouvement s’inscrit dans le court terme, mais on doit changer les choses sur le long terme.»
Dans la journée, Chow étudie à l’université; chaque soir il rejoint le camp de Mong Kok. Il avoue que ses parents ne partagent pas ses idées et qu’«ils ne sont pas OK», mais cela ne l’a pas dissuadé de s’engager. Il fait partie de la Hong Kong Federation of Student, l’une des principales forces derrière l’occupation de Mong Kok.
Je demande à Leung ce qu’il compte faire si la police arrive. «I’ll run» (je me mettrai à courir) me répond-il.
«Mais ils ne peuvent pas gagner. On reviendra après pour reprendre Nathan Road. On ne doit perdre Mong Kok sous aucun prétexte.»
Un mouvement non-violent
Mardi, dès 9 heures du matin, la police intervient pour mettre fin à une partie de l’occupation de Mong Kok, à l’angle de Nathan Road et de Argyle Street.
Le lendemain, mercredi, à la même heure, une deuxième intervention est lancée avec 6.000 policiers pour «nettoyer» le campement principal sur Nathan Road.
J’observe les forces de l’ordre avancer, méthodiquement. La stratégie est impeccable: toutes les rues adjacentes ont été préventivement bloquées; les occupants peuvent sortir, mais personne ne peut re-rentrer dans le campement. Des centaines d’hommes, avec des dizaines de bennes et de pelleteuses, nettoient la rue. Les étudiants persistent dans leur stratégie de non-violence, mais la police utilise des gaz lacrymogènes paralysants et des grenades de gaz poivré contre les récalcitrants (une enquête du South China Morning Post, publiée le 27 novembre, a montré que le gaz utilisé avait une concentration anormale en produits paralysants).
En moins de deux heures, les barricades de Nathan Road et les centaines de tentes se sont volatilisées. Cent-soixante neuf étudiants et activistes sont arrêtés et la police met ainsi fin à presque deux mois d’occupation dans ce quartier.
Mais la bataille de Mong Kok n’est pas passé inaperçue: elle s’est déroulée, plutôt pacifiquement, sous l’œil de centaines de journalistes et de milliers de caméras, d’appareils photos et de smartphones brandis par les étudiants pour scruter la moindre dérive policière. Non-violent certes, mais pas naïfs non plus!
Soudain, dans une grande confusion, au milieu de Nathan Road, j’aperçois enlevé par une petite grue, qui commence à s’élever dans le ciel avant de finir dans un camion poubelle… un matelas. Je ne peux pas en être certain, mais j’ai l’impression que c’est le matelas de la «supply station».
Joshua Wong symbole d’un mouvement disparate
Le mercredi soir, la déception est visible sur les visages des étudiants du campement d’Admiralty, le principal «street camp» resté en place et installé, lui, sur l’île de Hong Kong, au milieu d’un carrefour de plusieurs ponts autoroutiers.
Alex Chow, le secrétaire général de la Hong Kong Federation of Students, monte sur scène sous un tonnerre d’applaudissements. Il a 24 ans. Il commente les évènements du jour et tente de remonter le moral des troupes, très déçues par la perte du camp de Mong Kok. Il évoque aussi les nombreuses arrestations, illégales selon lui. Surtout que parmi les étudiants arrêtés par la police entre mardi matin et mercredi soir, figurent les noms de Lester Shum, le n°2 de la Hong Kong Federation of Students, et de Joshua Wong.
Reportage du South China Morning Post
Wong, dont les images de l’arrestation musclée, font ce soir là le tour du monde (il a été libéré dès jeudi) est le symbole de la «Révolution des parapluies». A 18 ans, il a fait la une de Time, est nommé comme «personne de l’année» de ce même magazine (à égalité avec Jack Ma d’Alibaba et Xi Jinping le président chinois), et est en train de devenir une icône pour les jeunes révoltés de toute l’Asie.
Qui est cet adolescent? Issu d’une famille chrétienne, plutôt conservatrice, et qui appartient à la classe moyenne, Joshua Wong est né quelques mois seulement avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine; il n’a pas connu le colonialisme britannique, ni son pays sous le drapeau de l’Union Jack. Il appartient à la première génération de Hongkongais qui ont grandi dans une ville officiellement chinoise. Mais très tôt, il s’est mobilisé pour défendre les spécificités de son île. Quand le gouvernement officiel, pressé par Pékin, a voulu reprendre en main les programmes scolaires, en bannir les figures dissidentes et réécrire l’histoire de la place Tiananmen, celui qui n’était encore que lycéen s’est mobilisé. Joshua Wong a alors 14 ans. Avec un ami, il fonde l’association Scholarism pour dénoncer cette propagande dans les manuels éducatifs. Des manifestations suivent et leur action paye: le gouvernement recule.
En 2014, Wong se retrouve donc tout naturellement au cœur de la mobilisation pour défendre la démocratie hongkongaise quand Pékin veut changer les règles pluralistes, et le collège électoral, qui ont été promis. Il fait partie des collectifs qui lancent l’occupation de Hong Kong et, le 28 septembre, il est arrêté, alors qu’il est encore mineur (il est né le 13 octobre 1996).
Faute grave du pouvoir. Il devient une icône globale et sa détention hautement symbolique est un électrochoc pour les Hongkongais. Ils descendent dans les rues par dizaines de milliers.
«J’ai été détenu le 28 septembre pour avoir participé à une opération de désobéissance civile, organisée par les étudiants en face du siège du gouvernement. J’ai été emprisonné pendant 46 heures et complètement coupé du monde extérieur. Quand j’ai été libéré, j’ai été profondément touché de voir des milliers de personnes dans les rues, mobilisées pour la démocratie. A ce moment-là, j’ai su que Hong Kong avait changé pour toujours», raconte-t-il dans une tribune qu’il a publiée en octobre dans le New York Times.
Avocat de la désobéissance civile, Joshua Wong insiste toujours sur la nature non-violente du mouvement. Ses références restent néanmoins chinoises, il ne se sent «guère concerné», dit-il, par Martin Luther King ni par Mandela, car ce n’est ni son époque, ni son pays: il préfère s’inspirer de Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix chinois, ou de l’artiste Ai Weiwei –ses modèles.
Au moins, à Hong Kong, ne connaît-il pas le même sort que ces dissidents. C’est la justice qui a ordonné sa libération, et la presse hongkongaise qui a médiatisé son arrestation: des preuves, s’il en est, que le système judiciaire est encore assez impartial à Hong Kong, que l’Etat de droit prévaut et que la liberté de la presse reste large.
Mais jusqu’à quand, compte tenu de la reprise en main rapide par Pékin? C’est l’un des enjeux de la révolution en cours.
Les barricades d’Admiralty tiennent toujours
L’association de Joshua Wong, Scholarism, et la Hong Kong Federation of Students sont les deux forces principales derrière le «Umbrella Movement». Mais le spectre des organisations engagées dans la rue est bien plus vaste.
Occupy Central With Love & Peace, à l’esprit plus anti-capitaliste, a été à l’origine des campements, tandis que des organisations démocrates plus radicales, comme la League of Social Democrats et le mouvement Civic Passion (les leaders de ces deux organisations ont été également arrêtés jeudi) sont très actives. Chaque groupe possède son «booth» sur le campement d’Admiralty: une tente qui sert de quartier général, de point de ralliement et de bureau de presse. Ce dimanche soir, une immense Assemblée générale était organisée à 18h, ouverte à tous. Comme les barricades d’Admiralty tiennent toujours, la foule était au rendez-vous et les leaders des différentes composantes du mouvement se sont exprimés.
Un manifestant pro-démocratie , le 1er décembre 2014 à Hong Kong. REUTERS/Bobby Yip
Parmi les organisations encore présentes sur le campement, on remarque aussi les drapeaux de plusieurs partis politiques: le Labour Party, le Democratic Party et le Civic Party. Mais ces forces politiques officielles, qui soutiennent le mouvement, se font plutôt discrètes. Leurs leaders n’ont pas pris la parole dimanche soir. De même, l’un des principaux syndicats pro-démocratie, la Hong Kong Confederation of Trade Unions, se contente de soutenir le mouvement en sous-main.
«La plupart des partis politiques pan-démocrates ont été marginalisés par le mouvement. Ils sont très affaiblis», constate Edmund Cheng, un jeune universitaire hongkongais. Avec une équipe de chercheurs, il a mené une enquête par questionnaire auprès de 1.800 occupants des trois campements de Admiralty, Mong Kok et, le plus petit, celui de Causeway Bay. Ses résultats l’ont étonné:
«Le mouvement est composé principalement de jeunes avec une éducation de niveau universitaire pour 56% d’entre eux, m’explique Cheng. Ce n’est pas vraiment une surprise. Par contre, deux résultats nous ont davantage étonnés. D’abord, entre 15% et 20% de ces jeunes n’ont jamais participé à une manifestation de leur vie, ce qui est très surprenant dans une ville où on est très habitué à protester. Ensuite, 80% de ces occupants ne se considèrent pas chinois, mais hongkongais.»
Les causes profondes de la «Umbrella Revolution» apparaissent ainsi plus complexes à analyser qu’une simple suite d’Occupy Wall Street d’une part, ou un mouvement démocratique anti-Pékin et une réplique tropicale de Tiananmen, d’autre part.
C’est une révolution qui n’a pas de centre et pas d’unité politique. Le déclic fut, et reste, l’aspiration démocratique. C’est parce que Pékin a proposé un nouveau mode de scrutin électoral fin août, avec veto du Parti communiste chinois sur les candidats potentiels à la tête de l’exécutif, dans la perspective des élections de 2017, que les Hongkongais sont descendus par dizaines de milliers dans les rues munis de parapluies jaunes (plus de 100.000 personnes le 1er octobre, pour un pays de seulement 7,2 millions habitants).
D’innombrables slogans témoignent de cette préoccupation démocratique: «We Love Democracy», «Hong Kong Democracy Now», «Let People Have a Say», «Defend Democratic Values», «Say NO to Censured Election», «Freedom is not Free» ou encore cet explicite: «Communist Party is so Evil!». La cible principale du mouvement reste Leung Chun-ying, le chef de l’exécutif hongkongais, considéré par les étudiants comme une marionnette de Pékin (il a été élu par 689 voix émanant d’un comité pro-communiste, d’où son surnom ironique de «689»).
Par certains aspects, les occupations de Hong Kong s’inscrivent également dans les revendications anti-globalisations et anti-capitalistes, dans la lignée des mouvements de la Puerta del Sol à Madrid ou Occupy Wall Street à New York.
On observe aussi sur le campement de nombreuses expérimentations environnementales (des jardins de légumes organiques ont été plantés) et des revendications identitaires spécifiques comme celles des féministes. Les Rainbow flags, symbole du mouvement gay, flottent aussi sur une petite dizaine de tentes.
En outre, les revendications sociales sont omniprésentes, qu’elles soient liées au prix des transports, aux coûts de la scolarité, à la cherté des loyers ou au chômage. Les étudiants aspirent à «une nouvelle version de Hong Kong», selon Edmund Cheng:
«C’est un mouvement anti-establishment qui rejette le seul modèle du bien-être par le PNB et se soucie du développement durable et de l’environnement.»
Toutefois, la dimension altermondialiste semble plus marginale qu’on ne l’a dit. «Les occupants ne sont pas principalement anti-mondialistes, ni anti-capitalistes. Ils sont d’abord pro-Hong Kong», affirme Edmund Cheng. Si les manifestants dénoncent l’oligarchie des tycoons qui dominent l’économie hongkongaise, ils semblent surtout préoccupés par leur île –et ses nouveaux territoires.
Un mouvement nationaliste et «localiste»
On ne peut expliquer le succès des occupations de Hong Kong et la bienveillance que les Hongkongais lui ont accordé (le soutien diminue dans les sondages toutefois) si on écarte la dimension profondément nationaliste du mouvement.
«We are Hong Kong people», «Love HK», «HK Keep Going», «We are HK people», «I love HK», «Salute to Brave HKers», «Please let the world know how much we love a free HK!» sont quelques-uns des slogans que j’ai vus sur les campements d’Admiralty, Mong Kok et Causeway Bay cette semaine. Et parmi les thèmes qui ont émergé, le nationalisme est récurrent, confirmant que ce mouvement n’est pas seulement de gauche altermondialiste mais aussi de droite et d’identité nationale.
Qu’on en juge à travers les slogans et revendications suivantes, présentes à Admiralty sous de nombreuses formes: le refus de l’immigration chinoise de masse; la peur de l’invasion des touristes en mandarin; la critique raciale à l’égard des «mainlanders» (comprenez les Chinois de Chine continentale); la sauvegarde du patrimoine colonial; ou encore la défense de la langue cantonaise (que les Hongkongais et les Chinois du Sud sont presque les seuls à parler) et des caractères chinois complexes (qu’ils partagent avec Taïwan).
«C’est une révolution qui a lieu en cantonais», constate Sebastian Veg. Ce chercheur français analyse le mouvement comme «l’émergence ou la réinvention d’une identité hongkongaise» et note que la dimension de «nationalisme culturel» est décisive dans le mouvement. Il résume:
«C’est un mouvement local qui vise à défendre Hong Kong et sa culture.»
Parmi les organisations derrière la «Umbrella Revolution», il faut ainsi accorder une place essentielle à une composante baptisée ici les «localists». Parfois appelés aussi les «Natifs» ou les «Hongkongais First», ces «locaux» veulent préserver la singularité de Hong Kong et refusent qu’elle devienne une ville chinoise ordinaire. Ce «localisme» est très hostile au «nationalisme» de Pékin et réclame, sinon l’indépendance, du moins une forme d’autonomie ou de singularité.
C’est d’ailleurs sur ce «haut degré d’autonomie» que porte le débat: il a été promis aux Hongkongais par les Britanniques lors de la rétrocession de 1997, mais il n’a jamais été clairement défini par Pékin. Deng Xiaoping, à la manœuvre avec Margaret Thatcher, a inventé la formule géniale: «un pays, deux systèmes». Mais les décisions autoritaires du Parti communiste chinois, le 31 août dernier, pour limiter l’autonomie de Hong Kong ont fait l’effet, ici, d’une douche froide. C’est ce point qui reste le principal déclencheur de la «Umbrella Revolution». Et sur certaines tentes d’Admiralty, j’ai encore vu flotter, ce dimanche, deux ou trois drapeaux coloniaux hongkongais et même, bien visible, quoique dans un angle, un peu l’écart, sur une des rues du campement: l’Union Jack.
Cette nostalgie anachronique est aussi un aveu d’échec. Pour une part, le mouvement politique démocrate actuel est soutenu par des leaders politiques anti-colonialistes sincères qui ont lutté contre la domination britannique: avant 1997, ils ont milité pour «le retour en Chine dans la démocratie», selon la formule –au demeurant extravagante, si l’on y songe– de l’époque. Ils croyaient que la Chine leur donnerait plus d’autonomie que les Anglais. Aujourd’hui, ils déchantent. Du coup, ils se rebellent contre ce qu’ils considèrent comme un néo-colonialisme.
Ce regain nationaliste hongkongais explique, pour une part, que l’establishment local composé de riches familles, de tycoons prospères, d’agents immobiliers millionnaires, souvent pris pour cible par les manifestants, soit resté relativement discret dans ses critiques à l’égard de l’occupation. Ils ont peur, eux aussi, du «capitalisme rouge» de Pékin. S’ils ne partagent guère les revendications étudiantes, ils ont bien l’intention de s’en servir pour maintenir leurs prérogatives sur l’île.
Un nouveau Tiananmen?
Pour certains observateurs étrangers, la bataille qui se joue actuellement à Hong Kong serait décisive pour l’avenir démocratique de la Chine (et, par ricochet, pour le futur de Taïwan).
Les étudiants mèneraient à Hong Kong un combat par procuration au nom de la démocratie chinoise et de tous ses dissidents. Microscopique, certes, à l’échelle de la Chine, cette bataille serait hautement symbolique. «Ce n’est pas le cas», corrige Zeng Jinyan, une blogueuse et chercheuse chinoise, qui fut mariée avec le dissident chinois Hu Jia (prix Sakharov 2008).
«Les revendications des étudiants sont très spécifiques à Hong Kong. Il est clair que c’est une situation très différente d’avec la Chine. Ce sont des manifestations très localisées, très spécifiques. C’est aussi l’émergence de l’identité hongkongaise», insiste-t-elle, tout en se disant proche intellectuellement du mouvement.
D’autres activistes, comme Chongguo Cai, un étudiant de la place Tiananmen en 1989, aujourd’hui exilé à Hong Kong, sont plus nuancés. Il insiste, lorsque je l’interroge au siège du China Labor Bulletin, où il travaille, sur l’aspiration démocratique chinoise galvanisée par la révolte actuelle des Hongkongais, qui lui rappellent sa propre jeunesse.
«On a échoué à Tiananmen parce qu’on n’était pas bien organisé. On manifestait, mais on ne négociait pas», dit-il en espérant que les étudiants de Hong Kong sauront «passer de la contestation pure à une opposition politique constructive». Comme d’autres, il souligne que la révolte de Hong Kong est très bien suivie depuis la Chine où, par des logiciels de contournement, les personnes les plus politisées sont informées heure après heure sur Internet. Toutefois, il insiste lui aussi sur les revendications premières du mouvement, le respect de l’état de droit à Hong Kong et des promesses faites au moment de la rétrocession, et non pas sur l’envie d’en découdre avec Pékin. «La défense de l’état de droit est un thème très consensuel à Hong Kong; la défense de la démocratie l’est beaucoup moins», souligne Sebastian Veg. «L’indépendance n’est pas une revendication possible et elle est d’ailleurs peu revendiquée par la population de Hong Kong. En revanche, le maintien de l’état de droit, la présomption d’innocence, l’indépendance de la justice : ces sujets sont très fédérateurs ici», confirme Chongguo Cai. Sur une banderole dans le campement de Causeway Bay ce dimanche, j’ai pu lire:
«Le haut degré d’autonomie de Hong Kong, l’indépendance de la justice et la liberté d’expression sont sérieusement menacés aujourd’hui. C’est notre devoir de protéger avec fermeté ces valeurs clés que nous chérissons.»
La bataille d’Admiralty commence
Vendredi matin, Joshua Wong, tout juste libéré de garde à vue, a demandé via Twitter aux étudiants qui ont été délogés du campement de Mong Kok, de rejoindre celui d’Admiralty, au cœur de Hong Kong. Et de ne pas «se rendre». Selon les statistiques postées sur Internet chaque jour (Umbrella Movement Tents Population Census Statistics), il y aurait actuellement 2.257 tentes sur le campement d’Admiralty.
Dimanche soir, à l’Assemblée générale du mouvement, sur «Umbrella Plaza», au cœur d’Admiralty, une foule s’est réunie –preuve que le mouvement est encore vivace.
Vers 18h, les leaders étudiants ont pris la parole pour annoncer une action imminente, encore secrète. Deux à trois milles étudiants, portants des casques de chantier jaunes, des lunettes de plongée et des masques chirurgicaux attendaient sagement de passer à l’action. Des dizaines d’étudiants-infirmiers, médecins, et secouristes, étaient prêts à soigner les blessés. Les postes de ravitaillement avaient accumulés des casques et des masques pour les activistes postés en premier ligne.
A 21h, le porte-parole des organisateurs a rendu public l’objectif dans un tonnerre d’applaudissements: encercler le siège du gouvernement et bloquer l’autoroute Lung Wo Road.
Relayé immédiatement sur les réseaux sociaux, le message a été reçu 5 sur 5 par la foule qui s’est précipité vers les bâtiments cibles.